Comme tous les ans, Abygael se rendait à la Ticker Tape avec son cher père. Dans le voisinage, personne ne sait que la jeune femme est une sorcière, exceptée sa voisine Zelda, bien sûr. Tous les amis de son père pensent qu'elle va dans un pensionnat privé très réputé de l'autre côté du pays, sur la côte Ouest, ce qui justifie le fait qu'elle ne soit jamais à la maison. Ce week-end, elle était rentrée tout spécialement pour la parade, qui constituait l'une des rares choses normales que Aby partageait avec son père. Comme toujours, ce dernier était encore en train de traîner. Il ne l'aurait pas avoué, mais Aby savait bien ce qu'il était en train de faire. Comme toujours, il essayait de limiter le temps qu'ils allaient passer ensemble à l'extérieur de la maison. Il avait peur pour sa fille. Il était au courant pour la loi Rappaport, et bien qu'Aby soit sa fille, il avait toujours peur qu'on vienne leur dire qu'ils ne pouvaient pas vivre ensemble. Et oui, il n'avait toujours pas confiance. Mais Aby, elle, était d'une nature insouciante et heureusement, quand il s'agissait de sa fille, Caven avait du mal à dire non.

C'est donc avec son entrain habituel qu'elle l'entraîna dans les rues de la ville. La jeune femme sautillait et riait aux éclats telle une enfant. Elle montrait du doigt les chars, émerveillée par leur beauté et leur sophistication. Même son père semblait détendu. Il finit même par lui proposer de lui acheter un truc à boire. Abygael accepta joyeusement et laissa son père s'éloigner. Quelques secondes plus tard à peine, elle avait oublié qu'elle était venue accompagnée et elle se mit à déambuler tête en l'air dans la rue.
Son regard attiré par toute cette animation, elle ne regardait plus où elle allait et finit par heurter quelqu'un.

"Oh ! Excusez-moi, je..." Mais elle n'eut pas le temps de s'excuser plus longuement qu'une autre déconvenue venir de se produire. Elle reçut sur l'épaule ce qui semblait être du whisky. Elle retint un petit gémissement et leva les yeux en l'air, franchement énervée.

"Non mais ça va pas ?!" cria-t-elle Espèce d'apopathodiaphulatophobe !!

Elle soupira puis reporta son attention sur le jeune homme qu'elle avait heurté. "Un petit farceur, en effet." Elle prit son mouchoir avec un sourire et entreprit de s'excuser de nouveau.
"Merci beaucoup. Je suis désolée, si je ne vous avez pas heurté, vous n'auriez pas été aspergé vous aussi..."

La jeune femme était sincèrement confuse. Après s'être légèrement essuyée, elle utilisa le mouchoir pour nettoyer le vêtement de l'homme. Heureusement pour eux deux, la quantité de liquide était faible et ils n'étaient pas tâchés plus que ça.

"Voilà," souffla-t-elle en souriant. "Les vêtements ça va, par contre, votre mouchoir est trempé..."

« – Tante Aly et encore en train de grogner. »

La petite voix fluette de Jasper avait envahis le salon principal de la maison familiale des McFarlane faisant , au passage, soupirer une nouvelle fois la tante incriminée. Les cheveux en nids d'oiseau, les yeux à moitié fermés  et le visage penché au dessus d'une tasse de thé brûlant dont les vapeurs agressaient la peau délicate de ses joues.  La fenêtre ouverte laissait monter une clameur incessante de la rue et de l'autre coté de la table, Jasper cinq ans n'arrêtait pas de glousser joyeusement tapant parfois des mains au rythme des chansons entonnées dans la rue.  Brunehaut Aldegarde McFarlane n'avait jamais autant regretté un jour de congés.  Sa mère arriva sur ses entrefaites et glissa ses doigts fins dans les cheveux de sa fille pour chercher à y mettre un semblant d'ordre, utopique mais vital pour elle.  Il était dix heures passées, il était rare qu'Aldegarde se lève aussi tard mais elle subissait tellement de pression qu'elle ne se voyait pas le lui reprocher, elle dormait si mal qui plus est.

« – Qu'est-ce qui te met d'aussi mauvaise humeur, tu te lèves a peine. »
« – Ce thé, il est répugnant Mère, tu sais qui en est responsable ? Et surtout,je pense l'avoir déjà dit les autres années mais : bon sang qu'ils sont bruyants ! Je suis dégoûtée à l'idée d'avoir gâché un jour de congé par inadvertance. »

Ilda tira un peu sur une des mèches de longs cheveux bruns qu'elle tenait dans sa main et arracha un gémissement outré à son enfant qu'elle gratifia d'une gentille caresse avant de s'éloigner lui demandant , une dernière fois d'arrêter de se plaindre et de ne pas donner un mauvais exemple à son neveux. Aldegarde avait envie de retourner se coucher rien que pour ne pas entendre ses mots mais elle se redressa sur son siège et glissa son regard vert-de-gris sur le petit garçon à la peau un peu mate et aux cheveux noirs qui était assis sur une chaise en face d'elle. La jeune femme lui adressa une grimace qui le fit rire et avec un sourire satisfait elle reporta son attention sur la cohue qui venait de la rue.

D'ordinaire elle n'avait rien contre ce genre de manifestation, elle aimait ce genre d'ambiance festive ou tout le monde, le temps d'un instant semblait heureux mais, dernièrement, elle avait tellement de problèmes à gérer qu'elle n'arrivait pas à se réjouir de si peu. Surtout quand cela entravait les quelques heures de sommeil qu'elle ne pouvait pas se permettre de perdre.  Se levant elle souleva son neveux dans ses bras pour lui montrer la foule criante et riante dans la rue que sa petite taille l'empêchait de regarder d'ordinaire.

« – Tante Aly tu as vu, il neige! »

Un sourire.

« – Non mon cœur , c'est du papier, des confétis, comme à ton anniversaire avec la baguette de Grand-mère tu te souviens? »
« – Oui. Pourquoi ils font ça Tante Aly ? C'est l'anniversaire de quelqu'un? »
« – Ils le font parce qu'ils sont content. »

Avec une moue concentrée le petit garçon chercha à descendre et alors qu'il tournait les talons pour rejoindre sa mère qui venait d'entrer dans le salon il s'arrêta pour poser une dernière question.

« – Pourquoi ils sont si content? »

Chenoa souriait, Jasper aussi.
Sa mère Ida discutait du repas du soir avec la bonne , Charles son frère et Karadeg son père seraient de retour pour le repas de midi.
Oui.
Tout était parfait.

Aldegarde étira un sourire sincère et détendu avant de fermer la fenêtre pour ramener le silence dans la maison.

« – Je ne sais pas, Jasper. Je ne sais pas. »

Et ça n'avait pas d'importance,
tout était parfait.

Généralement, Matthew profite de la Ticker Tape pour se pavaner dans les rues avec son frère, une cigarette entre les dents. Formidable occasion de se montrer qui lui est offerte. Il sourit, fait des clins d'oeil aux jeunes demoiselles et serre les mains de gros bonnets en tout genre. Enfin, il faisait du temps où il était encore célibataire. Du temps où il était encore libre de faire ce qu'il voulait et qu'il n'avait pas à se soucier des autres. Cette année, ce cher Mr Reid avait tenu à ce que Matthew les accompagne, lui et sa fille à la parade. Ça vous fera une sortie, pour apprendre à vous connaître, qu'il disait. Matt avait sourit. S'il s'était laissé aller à lui dire le fond de sa pensée, il aurait dit ça: J'en ai rien à faire de la connaître à ta fille. Je m'en fous d'elle, c'est toi qui tient à ce que je l'épouse. Pourquoi ? J'en sais rien. Mais moi j'ai rien demandé et tu me casses les couilles. Je t'ai peut-être dit oui, mais c'est surement pas pour les beaux yeux de ta fille. Si tu n'avais pas été aussi influent, je ne l'aurais même jamais regardé de ma vie. Mais voilà, tu es influent. Je tiens à ma place. Tu ne le sauras jamais mais c'est pour cela que je le fais. Et même quand je l'aurais épousé, je n'en aurais toujours rien à faire d'elle. Mais bon, c'était un garçon civilisé. Tout ça était resté enfermé dans sa tête et à la place il avait lâché un très faussement joyeux: Il me tarde d'y être.

Tu parles qu'il lui tardait. Maintenant il y était et il devait se coltiner la demoiselle et son abruti de père. Enfin, étrangement, le calvaire ne dura pas longtemps. Il se passait un truc. En vérité, les gens étaient beaucoup plus agités que d'habitude et il y avait l'air de se passer de drôles de choses. Matthew ne comprenait pas du tout quoi et à vrai dire, quand il remarqua qu'avec la panique, il avait été séparé de sa promise, il lâcha un grand soupir d'aise. Rien que pour cela, il considérait les cris, les gosses qui courent partout et les femmes qui crient comme une bénédiction. De toute façon, Matt était le genre de type parfaitement à l'aise au milieu d'une foule, aussi agitée soit elle. Aussi même s'il avait l'impression que quelque chose ne tournait pas rond - et comme il ne voyait rien qui ne sorte de l'ordinaire - il continua sa balade tout seul, slalomant autour des gens paniqués.

Soudain il entendit ce rire... ce rire qu'il aurait reconnu entre mille. Il tourna la tête sur sa droite, et ses yeux se posèrent sur Mina, qui visiblement venait de tomber par terre. Il se mit à rire lui aussi et fendit la foule pour aller la retrouver. Il s'accroupit devant elle toujours en riant. "Ma pauvre Mina, regarde-toi, une vraie dame," lui lança-t-il avec un clin d'oeil.